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« Je m’excuse, je dois rentrer plus tôt. Mon chat m’attend à la maison. » 

 

Éclats de rire. Mes collègues pensaient que c’est une blague. Je ne pouvais pas les blâmer dans un sens. 

 

« Ha ha! Elle est bonne! » 

 

Rire gêné de ma part. 

 

« Ouuuuaaiiss. Ha ha. Est bonne. En tout cas, j’ai des devoirs. Passez une bonne soirée. » 

 

Parade acceptée. Je retournais à la maison faire mes devoirs avec ma minoune ronronnante sur mes genoux et mes anciens collègues allaient à leur soirée ensemble. Ils étaient loin de se douter que, en fait, ma première explication était la vraie.  

 

La vérité est que j’ai passé la majorité de mon temps à l’université recluse chez-moi à faire mes travaux et jouer aux jeux vidéos. Trois raisons expliquaient ceci : Un désir profond de rentabiliser chaque sous investi par mes parents dans mon éducation supérieure, beaucoup d’anxiété sociale de ma part… et une chatte qui faisait de l’anxiété de séparation. 

 

Je ne connaissais pas le terme à l’époque. Je n’en connaissais pas non plus les conséquences. C’est dix ans plus tard que j’ai compris ce que Hanielle avait et que j’ai pu mettre un mot sur son malaise. À ce moment, je savais juste que ma minette n’allaient pas bien lorsque je partais trop longtemps. Elle criait à mon retour et, si je ne revenais pas à la maison assez vite, elle m’empêchait de dormir tellement elle se frottait sur moi et voulait se faire flatter. Sa fourrure était dans un état lamentable, car elle ne se toilettait pas en mon absence. Elle n’a jamais rien détruit et elle n’a jamais vocalisé, mais quelque chose à l’intérieur de moi me disait qu’elle n’était pas bien. Comme c’était ma chatte adorée et que je lui avais promis d’en prendre le meilleur soin que je pouvais, je limitais le temps passé en dehors de la maison. Plutôt qu’être « métro boulot dodo », ma vie était « Université, ronron, travail ». Ma minette était heureuse et moi, j’avais des bonnes notes. 

 

Les gens me trouvaient vraiment studieuse et investie dans mes études. C’était vrai. Mais il serait faux de dire que la minette ronronnante, finalement soulagée que je sois rentrée, n’agissait pas comme une ancre pour me garder à la maison, devant mon ordinateur, pendant tout le début de ma vingtaine. Ça, par contre, je ne l’ai jamais dit à personne. 

 

Qui aurait compris de toute façon? Après tout, c’était « juste un chat ». En plus, un chat, c’est censé être indépendant, non ? 

 

En éducation canine, les gros problèmes font beaucoup parler d’eux. Ça a du sens. Gros problème, grosse difficulté! La protection des ressources, la réactivité envers les autres chiens, l’agressivité, etc. Ce sont des problèmes sérieux, d’envergures sérieuses, qui ont besoin de solutions sérieuses! Encore plus quand on y ajoute la peur d’être jugé et du regard des autres

 

Ces problèmes sont difficiles et personnes n’est en train de nier leur gravité. 

 

Une des choses que j’ai réalisé, par contre, dans ma carrière est la difficulté émotionnelle de régler les problèmes qui, progressivement, s’installent et envahissent le quotidien. Ces petits problèmes qui, au début, ne semblent pas « graves » mais qui se multiplient, devenant petit à petit un fardeau immense qui détruisent les gens, leur relation avec leur chien… et avec leur entourage. 

 

Si un chien est agressif envers les étrangers, il est toujours possible de l’expliquer à nos visiteurs et de leur demander de ne plus venir. On leur dit qu’on va aller les voir chez-eux. On s’excuse, sourire gêné, et on évite la situation. 

 

Le chien est hyper réactif envers les autres chiens, on le sort à des heures où il n’y a personne. L’hiver et les températures pluvieuses deviennent le meilleur temps pour une balade. On s’excuse, encore une fois avec sourire gêné, lorsqu’une situation arrive. 

 

Vous voyez le genre. 

 

Comme personne n’a envie de se faire croquer une fesse et comme les gens s’insultent généralement peu de savoir si les autres chiens aiment ou non leur toutou, il est relativement facile d’avoir leur collaboration.

 

La réhabilitation du chien devient alors un jeu de yoyo avec l’énergie de son gardien. L’énergie et la motivation sont là? Ils attaquent le problème. La personne est fatiguée ou traverses une mauvaise période, elle évite les déclencheurs, promène son chien le soir et n’invite plus personnes chez-elle. Des fois, c’est nécessaire, ça fait du bien. On recharge nos piles et on recommencera quand on aura du « jus ». 

 

Mais qu’en est-il des autres problèmes? De ceux dont je parlais. Des petits problèmes dont on ne peut jamais s’échapper? De ceux qui envahissent le quotidien et pour lequel il n’existe pas de solutions pour les éviter, le temps de se « refaire une patience », comme disait ma grand mère? Quand est-il de la personne dont le chien a peur de tout (du noir, du bruit, des passants, des autres chiens, alouette), en plus de faire de l’anxiété de séparation. Sortir avec son chien est difficile, être à la maison avec son chien est difficile, et elle ne peut jamais partir. Ou alors de la personne dont le chien, à cause de ses insécurités, fouille constamment partout et n’est jamais capable de s’arrêter, de se calmer, de s’endormir. Ou encore de la personne dont le chien, qu’elle ne peut jamais laisser,  même pas le temps de faire l’épicerie, hurle au moindre son et passe sa journée à attendre, tête baissé, d’entendre du bruit. 

 

L’anxiété lourde est un problème horrible. Car on ne peut y échapper, car elle envahit chaque facette de notre quotidien, car elle se présente sous une panoplie de forme et qu’on doit toutes les traiter séparément. Et car elle est difficile à expliquer à nos proches. 

 

Comment tu expliques à ta mère que tu ne peux pas aller à son party de fête si ton chien n’est pas invité aussi? Encore plus lorsque, à cause de ses problèmes d’anxiété, ce même chien est horrible à endurer en visite. On se lance « Éduque dont ton chien et laisse-le dont à la maison ». Pourtant, ce n’est pas faute de vouloir, ni dans un sens, ni dans l’autre. 

 

Comment tu expliques à tes voisins que ton chien hurle à mort, car il a peur de n’importe quel bruits, malgré les barrières devant l’entrée, malgré les bruits de fonds, malgré tout ce que tu essayes de faire? Et que tu ne peux même pas l’emmener prendre une marche à l’heure où les gens rentrent de travailler car tout, à l’extérieur, la terrorise. Encore plus de hurlements. Encore plus de voisins mécontents. 

 

La roue tourne. Tu as l’air ridicule. Personne ne te comprend. Tu penses que tu es un échec, pour être franc. Le problème, c’est pas le problème en tant que tel. C’est que tu ne peux jamais y échapper. Ta maison, qui devait être ton hâvre de paix après une journée difficile, est devenu la scène de démonstration des nombreuses expressions des problèmes de ton chien. Tu es toujours sur le quivive, à attendre le prochain stress, la prochaine crise. La roue tourne, les journées se suivent, sitôt qu’une facette du problème est réglée, une autre apparaît. Tu désespères, tu as l’impression que tu ne t’en sortiras jamais. 

 

C’est tout le temps, partout, ça n’arrête jamais. 24h sur 24, 7 jours sur 7. 

 

Je n’ai pas de conclusion fine et intelligente à cet article. J’ai passé plusieurs soirées au téléphone avec des amis qui ont des chiens « poqués du cerveau ». À les écouter. À leur dire que je comprends. À leur dire que oui c’est dur. À leur dire que non c’est pas facile à expliquer. À leur dire qu’ils sont ne pas seuls. 

 

À leur dire que leur sentiment d’épuisement et d’impuissance est valide et légitime. 

 

Même si tu pleures, même si tu n’en peux plus, même si personne ne te comprend, t’es fait fort. Je te lève mon chapeau. 

 

En mémoire de N