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Il y a quelques mois, j’ai eu des problèmes de plomberie. Mon bain s’est mis à fuir et le lavabo était bouché. Et, étant l’adulte procrastinateur que je suis, j’ai attendu à la dernière minute pour faire venir le plombier. 

 

Lorsque le plombier est arrivé, j’ai mis les chiens dans leur maison avec chacun un gros os délicieux à gruger. Les toutous s’en sont donnés à coeur joie pendant que le professionnel réparait la tuyauterie. Parce qu’il aime les animaux, il m’a remerciée de les avoir occupés, mais m’a dit que ça ne le dérangeait pas si les chiens étaient lousses. Lorsqu’elle a eu fini, Helé, parce qu’elle est « bien élevée » (vous comprendrez pourquoi j’utilise cette expression entre guillemets), a pu aller s’assurer de la qualité des travaux. Elle en a profité pour montrer comment elle est la plus mignonne sur terre et a récolté quelques flattes. Puis elle a été s’occuper dans une autre pièce. 

 

Seph et Rina, qui sont plus énervés, sont restés dans une autre pièce et se sont amusés ensemble. Ultimement, Helé les a rejoints, car elle commençait à s’ennuyer. 

 

Le plombier a fini les travaux. Il est parti, j’ai nettoyé la salle de bain et j’ai pu prendre mon bain. Fin de l’histoire. 

 

Les chiens ont été à l’abri des blessures avec les débris de métal, le plombier a pu travailler en paix et tout a été semi-tranquille, autant que ça peut l’être pendant qu’un inconnu dévisse la tuyauterie. 

 

Au fond, est-ce que Rina et Seph sont « bien élevés » eux-autres aussi, s’ils n’ont pas eu la permission d’aller voir le plombier? 

 

Ça dépend. La réponse, en fait, est que je n’avais juste pas envie de gérer cette situation. Et c’est bien correct comme ça.  

 

Avoir un chien bien élevé est le but de pas mal tout le monde. On veut tous avoir un chien qui sait se comporter en société et qui ne nous apportera pas de situations gênantes. On veut aussi un chien qui saura se fondre dans notre quotidien, qui ne créera pas trop d’ouvrage supplémentaire pour nous et qui satisfera nos attentes. 

 

Beaucoup de gens bien intentionnés, surtout des gardiens dont c’est le premier chien, se lancent alors dans la quête du chien parfait. Le chien social, joueur, jamais stressé, toujours en contrôle, qui ne fait jamais de bêtise, qui est patient, gentil, doux, tolérant, etc. Bref, ils se mettent sur les épaules la responsabilité de changer leur chien en un automate qui sera satisfaire les attentes de tous les membres de la société qu’ils sont susceptibles de croiser. Le chien devra à la fois ignorer les grands-mères, aller jouer avec les enfants, faire des joies aux amateurs d’animaux et se tenir à distance de ceux qui les aiment moins. Ne jamais sauter, sauf si Monsieur Chose le demande, ne jamais japper, sauf si c’est mignon. Il devra se faire oublier lorsqu’il y a des invités, ou les amuser si ceux-ci le demandent. Il ne doit être ni trop tranquille, ni trop dérangeant. Toujours adapté aux goûts des gens. 

 

N’importe qui qui lira les lignes ci-haut trouvera ces attentes exagérées. « Cette rédactrice est timbrée », qu’ils se diront. « C’est complètement irréaliste. »

 

Pourtant, parlez à des propriétaires de chiens bien intentionnés et vous réaliserez la pression immense qu’ils mettent sur eux pour atteindre ce statut de chien parfait auquel personne ne trouvera jamais de défauts. Bref, de la pression, et de la culpabilité qui va avec, pour atteindre le nirvana du chien bien élevé.

J’ai eu la discussion suivante des centaines de fois, je pense. Quelqu’un me demande des conseils pour que son chien arrête de sauter sur la visite. « Mon père est venu en fin de semaine et mon chien était tout énervé. Ça m’a vraiment fait honte. » Pas de problème! Il existe plein de trucs pour ça. On discute un peu, on met en place des stratégies de gestion et un plan d’entraînement. La personne repart toute contente et revient, bredouille, deux semaines plus tard. « Mon chien saute toujours ». Je leur demande s’ils ont fait leur devoir. « Oui oui on a pratiqué! » On discute. On jase. Je creuse, car je tente de savoir ce qui se passe. Il y a anguille sous roche. Les gens évitent mon regard. « Êtes-vous sûr que vous ne l’avez jamais laissé sauter? » Et la réponse hésitante arrive. « Bah peut-être un peu… Juste de temps en temps.. En fait c’est que… au fond… on aime ça. » Quand ils arrivent et que leur chien leur fait des joies. « On s’excuse! On est pas de bons propriétaires! On le sait en plus que c’est mal! » que les gens cherchent tout de suite à m’expliquer. Ils rejettent le blâme sur eux-mêmes. Si leur chien n’est pas bien élevé, c’est qu’ils ont échoué. É-C-H-O-U-É!

Je les arrête une minute. 

« Donc, vous aimez que votre chien saute sur vous. »

« Non, il ne doit pas le faire, c’est mal élevé. Mon père n’aime pas ça. Il n’aime pas vraiment les chiens. Je ne veux pas que mon chien le dérange. »

« Je comprends que votre père n’aime pas ça. Mais vous, personnellement, si ce n’était pas de votre père, vous voulez ou non? »

« Nous, on aime ça. Quand on rentre du travail surtout. Mais c’est pas bien. C’est mal élevé! »

« Mal élevé selon qui?»

« Ben… Mon père. Et si jamais le livreur vient chez-moi, je ne veux pas que mon chien saute. »

« Combien de fois par année votre père vient-il vous voir? Et vous faites-vous livrer de la nourriture? »

« Mon père vient deux fois par année. Le livreur… Je sais pas… Rarement ?»

« Si vous voulez que votre chien arrête de sauter, c’est tout à fait faisable, mais il faudra couper toutes formes de renforcement. Demandez-vous, qu’est-ce que vous voulez pour votre chien? Moi je n’ai aucun problème avec une ou l’autre des options. C’est votre chien. Qu’est-ce que vous voulez? Qu’est-ce qui vous rend heureux? Il va falloir prendre une décision et vous y tenir. Si c’est non, c’est non tout le temps. Si c’est oui, c’est oui, mais tout le temps aussi. »

Les gens me demandent ce qu’ils feront si leur père les visite ou s’ils se font livrer de la pizza. C’est une question légitime. La réponse est très simple: mettre le chien dans une autre pièce. Comme moi avec le plombier. Si le paternel demande à voir le chien, on explique qu’il est énervé et va sauter. Donc il vaudrait mieux pas. Ou alors, il faut accepter que le chien est tannant. Un sourire s’allume sur leur visage. Comme si je venais de leur donner la permission de profiter de leur chien qui les accueille. Je les avertis par contre, le chien ne fera pas la différence entre eux ou leur vieille grand-mère délicate et chambranlante. Ils sont les adultes et les humains, c’est à eux de prendre une décision. Et je les laisse y réfléchir. 

Au fond, qui décide de ce qui est bien élevé?

Vous voulez que votre chien ait droit au divan? C’est votre choix! 

Vous voulez que votre chien dorme dans votre lit? C’est votre choix! 

Vous n’avez aucun problème à ce que le chien ramasse la nourriture qui tombe par terre? C’est votre choix! 

Vous acceptez qu’il grimpe partout? C’est votre choix! 

Personnellement, il y a plein de choses que j’autorise et d’autres que j’interdis. Pourquoi? Parce que c’est ma définition de ce qu’est un chien bien élevé. Sur quoi je décide de mettre mes efforts. Le reste, si ce n’est pas important pour moi, je le laisse tomber. Je mets mon énergie ailleurs. Quand j’ai besoin de m’adapter à une situation spéciale, comme des réparateurs qui viennent arranger le drain du lavabo, j’utilise des méthodes de gestion. C’est tout. 

Votre chien ne pourra jamais plaire à tout le monde en même temps. Alors, au fond, qu’il vous plaise à vous!